Se connaître

Extrait d’un exposé de Bernard Montaud lors du week-end Etude des 15 et 16 février 2014 au Centre des Amis de Gitta Mallasz sur : « L’alphabétisation intérieure ».

« Je voudrais vous parler aujourd’hui de quelque chose que nous sous-estimons souvent et qui est l’alphabétisation intérieure. Cette alphabétisation intérieure est la grande ambition des pratiques de base de toutes les voies spirituelles. Que vous fassiez de l’assise immobile, du zazen, des arts martiaux, que vous alliez à la messe le dimanche, toute vie spirituelle a une pratique de base qui est son fil conducteur. L’ambition de toutes les pratiques de base, c’est de nous alphabétiser intérieurement. Pour le dire d’une manière plus directe, je dirais que dans chaque chute d’aïkido il faut savoir qui on est quand on perd et quand on tombe. Dans chaque assise immobile des groupes d’Artas, on se pose la question : « Quel con je suis ce soir ? Et comment vais-je faire pour l’aimer ? » Et c’est pareil dans la vie courante. Au-delà de toutes les techniques, au-delà de toutes les pratiques, toutes les voies spirituelles ont une ambition : alphabétiser le pratiquant sur quelle misère l’habite.

Et il faut bien placer cette connaissance. N’oubliez pas que sur le fronton du temple de Delphes il est écrit : « Connais-toi toi-même et tu connaîtras l’univers et les dieux. » L’univers des sciences, et les dieux des religions. Ce « connais-toi toi-même », c’est le grand livre des secrets. Nous avons tous un secret, un secret que d’ailleurs, dans notre monde traumatique, nous passons notre temps à cacher. Nous passons notre temps à cacher nos misères, nos petitesses, nos souffrances, notre véritable identité. Car nous sommes trois misères, issues des trois traumatismes de notre passé. C’est le nom secret de notre être, c’est l’identité secrète de notre être. Ce « connais-toi toi-même », c’est le livre central porteur de toutes les connaissances, c’est le livre de la grande rencontre avec nos trois misères. « Qui suis-je ? » Pas un numéro de téléphone, pas une adresse, pas un nom de famille. Je suis les trois misères qui composent ma personne et qui font ma personnalité. Et entre ma naissance et ma mort, je serai tout le temps ces trois misères. Je pourrai avoir appris spirituellement à bien vivre avec, ou je continuerai à mal vivre avec, mais je serai tout le temps avec cette triple identité secrète.

Ce « connais-toi toi-même », selon moi, c’est quelque chose de très précis. C’est connaître nos trois disgrâces et connaître nos trois Grâces. C’est connaître nos trois petitesses et connaître nos trois Grandeurs. En sachant qu’elles sont intriquées l’une dans l’autre, puisque c’est aimer chacune de nos petitesses qui nous met dans notre Grandeur. Puisque c’est aimer notre disgrâce qui nous met dans notre Grâce. La connaissance intérieure, l’alphabétisation intérieure, c’est donc savoir qui je suis quand je suis petit, quand je suis imparfait à mes yeux, et qui je suis quand je suis Grand. Ce « connais-toi toi-même » contient donc une pédagogie importante d’alphabétisation. Dans un premier temps, c’est rencontrer nos trois misères. Puis c’est apprendre à les aimer, et c’est le début de notre Grandeur. Et dans un troisième temps, c’est accomplir ces trois Grandeurs dans une Tâche. [.] »